La génération Z s'impose en littérature et bouscule les codes - Elle (2024)

La génération Z s'impose en littérature et bouscule les codes - Elle (1)

Max de Paz, Léontine Behaeghel et Victor Malzac ont entre 22 et 26 ans. Ensemble, ils nous parlent de leur jeunesse et des autres privilèges qui les ont menés jusqu’à leur rêve : publier un premier roman. Ils ne se reconnaissent pas dans l’image classique de l’auteur et comptent bien la bousculer. Rencontre avec trois primo-romanciersmade inGenZ.

Par Valentine Delétoille

Deux fois par an, comme pour la fashion week, les journalistes et amoureux du livre ont les yeux rivés vers les programmes de la rentrée littéraire. Qu’elle soit d’automne ou d’hiver. Comme des cochons truffiers cultivés, ils sont à la recherche de la perle rare, du petit nouveau qui viendra bouleverser un monde très installé. Les auteurs publiant leur premier roman sont particulièrement scrutés. Qui est le génie à côté duquel on est passé toutes ces années, et qui accouche enfin de son texte qui a maturé dans ses entrailles pendant des années ? Il n’aura pas échappé à un œil aiguisé, que dans le programme de la rentrée d’hiver qui vient de se terminer, se sont glissés des auteurs bien plus jeunes que la moyenne.

Se faire une place

Trois primo-romanciers issus de la GenZ ont fait leur rentrée. Entre le cliché du jeune accro à TikTok et celui de l’auteur quinquagénaire coincé dans son bureau parisien et poussiéreux, où ces jeunes nés entre 1997 et 2010 trouvent-ils leur place ? « Je ne vois pas bien le rapport entre Beigbeder et moi », rit Léontine Behaeghel, née en 2000 et autrice du roman« Cinq petites tristesses »(Robert Laffont). « On peut très bien se sentir connectée à sa génération, avoir les mêmes références et centres d’intérêt et avoir une passion pour l’écriture, continue-t-elle. Je suis branchée sur TikTok du matin au soir et ça ne m’empêche pas d’écrire. »

Assise dans le café d’un hôtel du très chic 7ème arrondissem*nt de Paris, elle sirote un thé vert aux côtés de Max de Paz, 22 ans et auteur de« La Manche »(Gallimard) et de Victor Malzac, assis derrière son expresso, qui a lui aussi signé son premier roman« Créatine »chez Gallimard, à l’âge de 26 ans. À la gauche de Léontine, Victor ne partage pas entièrement son avis. C’est souvent lui pendant l’entretien, qui aura un avis un petit peu divergent des deux autres. Le résultat peut-être de son expérience de poète installé, ou d’avoir fait de l’écriture son métier. « Je comprends ce qui se passe, mais je ne me reconnais pas dans le portrait qu’on fait de ma génération. Je ne suis pas du tout dans un "c’était mieux avant", mais manifestement, ma vie est différente de celle des gens de mon âge.»

Des jeunes adultes conscients de leurs privilèges

Derrière son verre de Perrier, Max de Paz absorbe ce que disent ses collègues. C’est sans doute le plus silencieux des trois. Pas effacé pour autant, il prend le temps de réfléchir, et revient dans le cours de l’entretien sur cette question de place au sein de sa génération. « Je pense vivre beaucoup de mêmes choses que les autres jeunes, commence-t-il. TikTok, Instagram, football. Sauf socialement. J’habite à Paris, je vis chez ma mère, qui s’en sort bien financièrement. Je ne peux pas dire que je vis comme tous les jeunes de France quand en ce moment ils font la queue pour pouvoir manger. » Un jeune du même âge, moins favorisé, qui ne vit pas à Paris, mettrait sans doute bien plus de temps à présenter son premier roman, acquiescent les trois auteurs.

C’est peut-être cette conscience des privilèges qui caractérise cette génération Z d’auteurs

« Si tu écris un livre et que tu vas à la fac, c’est la classe, surenchérit Victor. Alors que si t’écris un bouquin quand t’es très jeune et que tes parents et tes potes ne savent pas ce que c’est, ça peut paraître bizarre. » Tout au long de notre conversation, revient cette notion de privilège. Celui de faire partie, par héritage ou par ascension, d’une certaine élite sociale ou culturelle. Celui d’être blancs, français. Celui d’avoir fait de grandes études. Les trois auteurs ont un gros point commun : le passage par une classe préparatoire. Montpellier pour Victor, Fénelon pour Léontine et Henri IV pour Max. Alors que Léontine a poursuivi ses études par une licence de lettres, les deux hommes ont quant à eux intégré l’ENS. Tout cela entre dans l’équation qui leur permet de sortir en cette rentrée leur premier roman dans une maison prestigieuse. Statistiquement, la plupart des auteurs font partie de milieux privilégiés. Ces primo-romanciers n’en sont pas exclus, mais au moins, ils en ont conscience. Et c’est peut-être cette conscience des privilèges dont ils jouissent qui caractérise cette génération Z d’auteurs.

Une écriture plus urgente

À 22, 24 et 26 ans, Max, Léontine et Victor ne se sont pas posé la question de leur légitimité plus que n’importe quel autre primo-romancier. Ils ont eu la chance, de par leur bagage de normalien ou le sujet de leur livre, de ne pas être réduits à leur âge. « Je viens de faire la préface d’un type de 56 ans, raconte Victor Malzac en riant. Il m’a justement proposé ça à moi en me disant que c’était pire de commencer vieux. C’est la honte de passer 40 ans sans avoir publié de livre d’un point de vue social et culturel. On a toujours l’impression que le génie vient jeune. »« Celui qui va me dire : " t’es un gamin, pourquoi tu écris ça ? ", je vais lui répondre que c’est justement pour ça que j’écris sur un SDF, explique Max de Paz.

Ils avaient besoin de l’expulser plus que de le façonner

Je suis jeté dans un monde où je ne suis pas depuis longtemps, et je vois des gens qui dorment par terre au pied d’appartements vides. C’est parce que je suis jeune que je n’ai pas naturalisé ce contraste, que je ne considère pas un sans-abri comme faisant partie du paysage. »Pour lui comme pour Léontine, leur premier roman a été écrit dans l’urgence, sans vocation à mûrir. Alors que la gestation d’un premier livre peut prendre des années, voire des décennies chez certains auteurs, ces deux-là n'ont pas eu besoin de ce repos du manuscrit sous la poussière ou dans le tiroir. Ils avaient besoin de l’expulser plus que de le façonner.

La littérature, ce sera mieux après ?

Si leur âge ne leur a pas porté préjudice, il est même un atout pour les trois auteurs. « Être jeune et écrire, ça fait lire de nouvelles personnes, analyse Max de Paz. J’ai des amis qui me disent " je n’ai pas lu un livre depuis des années, mais je vais lire le tien ", et je trouve ça touchant. J’espère qu’ils vont ensuite ouvrir d’autres livres et ne pas s’arrêter au mien. »Ils l’ont remarqué à leurs séances de signatures en librairies, leur public est assez jeune. Et le bouche à oreille fonctionne très bien. Les jeunes attirent les jeunes. « Ils ont peut-être plus besoin de personnes auxquelles s’identifier, tente Léontine. Les gens qui ont du poids dans le monde littéraire d’aujourd’hui n’écrivent pas des livres faits pour toucher les gens de notre génération. »

Le progrès est au moins dans le fait de laisser la parole à plus de personnes qu’avant

Un avis que nuance Victor : « Ce qui manque, ce n’est pas des jeunes ou des vieux, c’est des minorités de manière générale. Ce n’est pas n’importe quel vieux qu’on voit, c’est toujours le même type. » Tous les chemins mènent à Beigbeder. « Le progrès est au moins dans le fait de laisser la parole à plus de personnes qu’avant », tranche Léontine. « De toute façon, la plupart des gens qui disent que c’était mieux avant se cachent derrière l’esthétique pour défendre une idéologie politique, c’est un manque de courage. »Prends ça Sylvain Tesson, la nouvelle génération d’auteurs est en marche et en librairies.

Léontine Behaeghel,« Cinq petites tristesses »(Robert Laffont), 224 pages, 19 euros.

Max de Paz,« La manche »(Gallimard), 124 pages, 16 euros.

Victor Malzac,« Crétine »(Gallimard), 208 pages, 21 euros.

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Author: Fr. Dewey Fisher

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